Trouble dans le bénévolat dans Le Figaro

Bénévolat : les associations inquiètes face au désengagement des jeunes retraités

Ségolène Le Stradic

Publié à 06:00

DECRYPTAGE – Les seniors s’engagent moins, tandis que les jeunes s’investissent autrement. Une tendance démographique à laquelle le secteur n’a pas encore trouvé la parade.

«Comment allons-nous faire pour redynamiser l’engagement ?» Cette question taraude le Secours Catholique, qui vient de lancer une réflexion au long cours : pendant les deux prochaines années, l’association souhaite examiner toutes les pistes possibles pour prendre à bras-le-corps la baisse d’engagement bénévole chez les seniors. Un constat similaire chez les Restos du Cœur : «outre les difficultés financières auxquelles nous faisons face, nous avons aussi besoin de renforts», alerte un responsable du pôle bénévolat de l’association d’aide aux plus démunis, dont le président a sonné l’alarme en septembre.1

En France, le nombre de bénévoles est reparti à la hausse après la crise du Covid-19 – le taux d’engagement était passé de 24% en 2019 à 20% en 2022, d’après la dernière édition2 du Baromètre France Bénévolat / Ifop. Mais les jeunes retraités, jusqu’alors vivier de prédilection des associations, s’engagent de moins en moins.3

«Génération prise en sandwich»

De près de 40% en 2010, les plus de 65 ans représentent désormais 25% des Français engagés dans une association, d’après «La France Bénévole 20234», le dernier rapport de Recherches et Solidarités5 publié en juin 2023.

«Nous avons commencé à noter ce changement de la pyramide des âges il y a quelques années, mais le Covid a accéléré la tendance», explique Mathieu Fontaine, chargé d’animation bénévolat au Secours Catholique6. En 2017, l’association remarque une baisse du nombre de bénévoles, puis une stabilisation en 2021. «En 2022, nous avons eu plus d’arrivées que de départs. Mais même les personnes retraitées allouent moins de temps qu’avant au bénévolat», ajoute Mathieu Fontaine.

«C’est vrai que le jeune retraité qui s’engage durablement et qui est régulièrement présent, c’est un profil qui se raréfie», confirme Sylvain Vallez, Secrétaire général du Secours populaire des Hauts-de-Seine. Même constat pour les Restos du Cœur7, dont la moyenne d’âge des 73.000 bénévoles réguliers et 25.000 ponctuels est de 59 ans, contre 61 ans trois ans plus tôt. La situation est encore plus préoccupante en zone rurale, soulignent les trois associations.

Comment expliquer cette mutation ? «D’abord, le système des retraites implique que cette catégorie de la population se prépare à travailler plus longtemps, ce qui réduit le nombre de bénévoles» indique Dan Ferrand-Bechmann sociologue et auteure de l’ouvrage Trouble dans le bénévolat en collaboration avec Sebastien Poulain (Chronique Sociale, 2023). «Ensuite, ils doivent s’occuper de leurs propres parents, de leurs petits[1]enfants… c’est une génération prise en sandwich. Ils accordent aussi davantage de temps aux loisirs».

Or cette catégorie de bénévoles est essentielle aux associations : «Les personnes plus âgées donnent plus de temps que les plus jeunes, ce sont des bénévoles plus réguliers qui apportent une expertise», souligne Dan Ferrand[1]Bechmann. En témoigne l’érosion du nombre de personnes s’engageant chaque semaine : de 10% des Français en 2019, ils représentent désormais 9%, d’après Recherches et Solidarités. Pourtant, «pour les tâches de gestion, d’administration ou de comptabilité, il faut des compétences», insiste la sociologue.

Une hausse de l’engagement des plus jeunes

Face à cette baisse du recrutement chez les jeunes retraités, une première solution s’offre aux associations : profiter de l’autre mutation démographique du secteur, la hausse de l’engagement chez les moins de 35 ans. D’un peu plus de 15% en 2010, ils représentent aujourd’hui 25% des Français bénévoles, d’après le rapport de Recherches et Solidarités.

Comment expliquer ce regain de popularité auprès de la jeunesse ? D’abord, «le bénévolat est devenu une culture», explique Dan Ferrand-Bechmann, «ainsi qu’un élément important du CV». Difficile d’y échapper, surtout quand les dispositifs mis en place, comme le service civique créé en 2010, le statut de volontariat qui existe depuis 2006 ou encore les stages auprès d’associations rendus obligatoire par certaines écoles, comme Sciences Po, l’encourage. Aux Restos du Cœur, on dénombre aujourd’hui 2000 stagiaires et 300 services civiques.

Mais cette hausse s’explique aussi par un gain de temps, pour les jeunes actifs : «Les hommes font désormais plus à la maison aujourd’hui que ceux des générations précédentes, et puis il y a eu le passage à 35 heures, ce qui permet aux femmes et aux jeunes couples d’avoir plus de temps», précise encore la sociologue. «L’enjeu pour nous est de capter cette jeunesse, qui s’engage différemment», soulève Mathieu Fontaine, du Secours Catholique. «D’ordinaire, les bénévoles viennent deux ou trois jours par semaine, mais pour les jeunes c’est plutôt trois ou quatre heures».

«Picorage»

En témoigne l’expérience de Mathilde, 25 ans, designer au centre hospitalier Sainte-Anne, engagée depuis trois mois au sein de l’association Magdalena, qui organise des maraudes les vendredis soir auprès de prostituées dans le bois de Boulogne. «Je cherchais un bénévolat me permettant d’être présente au travail tous les jours». Désormais, elle consacre toutes les deux semaines sa soirée du vendredi à ces visites nocturnes. «C’est vrai que c’est engageant le vendredi, parce qu’on peut difficilement partir en week-end, mais ça me permet de m’ancrer dans le territoire parisien», ajoute celle qui trouve son engagement très compatible avec son cadre de vie actuel.

Car les modes d’engagement ont changé. «Avant, vous entriez dans une association et vous y restiez toute votre vie, tandis que maintenant, les options se multiplient», indique Dan Ferrand-Bechmann. De la fête des voisins, à la chorale de la mairie en passant par l’aide ponctuelle aux Restos du Cœur… «aujourd’hui, le mode de d’engagement correspond plutôt à du “picorage”, à du “zapping”», poursuit la sociologue.

«Nous avons un gros effort à faire pour adapter nos missions à la disponibilité des plus jeunes», explique Sylvain Vallez, du Secours Populaire, qui admet consacrer lui-même trois jours par semaine à temps plein à l’association. Pour lui, cet effort passe par une nouvelle organisation des initiatives solidaires, afin de pouvoir proposer des actions le soir et le week-end, ou encore le «télé[1]bénévolat», c’est-à-dire des missions exerçables à distance.

«On essaie d’être réactifs et adaptables, mais ça ne se fait pas sans effort», tempère-t-il. «Si quelqu’un nous appelle un samedi après-midi pour donner une journée, c’est forcément plus compliqué pour nous que quelqu’un qui s’engage durablement». Dans les Hauts-de-Seine, plus de 1800 bénévoles accompagnent annuellement 20.000 personnes en difficulté, à travers 20 permanences d’accueil.

Parmi eux, une équipe de jeunes a pris en charge certaines actions évènementielles. «Ils ont une approche particulière, leurs propres horaires, leur mode de communication leur propre façon de mettre en œuvre la solidarité», explique Sylvain Vallez. «Certains ont même été intégrés à nos instances dirigeantes parce qu’ils nous amènent un regard neuf», se réjouit-il. Un phénomène encore trop rare, pour Dan Ferrand-Bechmann, qui insiste : «il faut ouvrir la porte aux jeunes aux fonctions de responsabilité».

L’entreprise, une solution ?

L’autre solution possible pourrait-elle passer par l’entreprise ? Aux Restos du Cœur, le pôle bénévolat vient de lancer une cellule dédiée au mécénat de compétence8, qui permet aux entreprises de mettre temporairement à disposition leurs employés sur leur temps de travail. «Nous cherchons à le déployer fortement, cela fait partie des mesures d’urgence mises en place depuis l’intervention de notre président début septembre», explique un responsable de l’association.

Si ce dispositif peut prendre plusieurs formes, aux Restos la forme privilégiée est le «mécénat sénior», l’arrivée pour un an à trois ans d’un salarié en fin de carrière, «sachant que ces personnes nous apportent de la compétence et de la connaissance, souvent sur des missions à responsabilité», un dispositif «gagnant-gagnant» pour l’association, qui en dénombre 130 au sein de l’association sur l’ensemble du territoire.

 «Ce dispositif est bénéfique aux entreprises, d’autant qu’elles y ont aussi recours pour leur image de marque», note Dan Ferrand-Bechmann. Cette mise à disposition peut aussi prendre la forme d’actions plus irrégulières, à raison de quelques semaines à quelques mois, ou d’une demi-journée, qualifiée alors de «speed-dating associatif» par l’État. «Si une entreprise met une équipe à disposition une fois par mois pour se donner bonne conscience ou faire faire du team-building déguisé, ça ne sert à rien», soulève Matthieu Fontaine, du Secours Catholique, qui souhaite néanmoins explorer la piste du bénévolat ponctuel.

Pour d’autres, cela fonctionne déjà. «Beaucoup de nos bénévoles, qui ont entre 30 et 40 ans, s’inscrivent à travers jeveuxaider.gouv, ou la plateforme Vendredi», explique Inès Gautier, chargée de parrainage et de mentorat de l’association Parrains Pour Mille, qui accompagne des jeunes en difficulté.

Aucune piste ne semble écartée des réflexions menées par le secteur associatif. «On ne peut pas se relâcher sur la question du recrutement, car sans bénévole on ne pourra pas mener nos actions», avertit un responsable du pôle bénévolat des Restos du Cœur, pour qui «l’association a deux jambes : celle de la personne accueillie, et celle du bénévole». Heureusement qu’aux Restos, une jambe peut en soutenir une autre : parmi les bénévoles, entre 10 à 15% sont des personnes elles-mêmes bénéficiaires par l’association. «C’est l’ADN Restos !», conclut un de ses membres.

Le Figaro.fr: – https://www.lefigaro.fr/actualite-france/benevolat-les-associations-inquietes-face-au-desengagement-des-jeunes-retraites-20231214

1) http://www.lefigaro.fr/conjoncture/les-restos-du-coeur-vont-refuser-du-monde-a-partir-de-novembre-une-premiere-dans-leur-histoire-20231004

2) https://www.francebenevolat.org/actualites/barom-tre-du-b-n-volat-2010-2022

3) http://www.lefigaro.fr/social/benevolat-retour-au-niveau-d-avant-crise-sanitaire-mais-recul-des-seniors-20230302

4) https://recherches-solidarites.org/wp-content/uploads/2023/05/LFB-2023-21-06-2023.pdf

5) http://www.lefigaro.fr/social/benevolat-retour-au-niveau-d-avant-crise-sanitaire-mais-recul-des-seniors-20230302

6) https://www.lefigaro.fr/actualite-france/le-reste-du-temps-je-suis-seul-en-vendee-le-fraternibus-du-secours-populaire-au-plus-pres-des-personnes-isolees-20231114

7) https://www.lefigaro.fr/actualite-france/ca-nous-fait-mal-aux-tripes-a-cause-de-la-crise-les-restos-du-coeur-contraints-de-refuser-des-familles-20231123#:~:text=150.000%20personnes%20concern%C3%A9es,d%C3%A9plore%20le%20responsable%20des%20lieux.  

8) https://www.lefigaro.fr/social/le-mecenat-de-competences-victime-collaterale-du-covid-19-20210329

Laisser un commentaire